Quels sont les secrets de Tadej Pogacar, le gentil cannibale à la Baby Face ?
Il a une tête de poupon et semble vivre sans se prendre la tête mais sur le vélo, il affiche la détermination et la rage de vaincre des grands champions. Portrait de Tadej Pogacar (23 ans) sur base de quatre traits de caractère marquants.
L’attaquant
» My Tuft was cold, so he hid under cap » (Ma Touffe avait froid donc elle s’est cachée sous son bonnet) a répondu Tadej Pogacar sur Twitter lorsqu’un journaliste a fait remarquer que, pour une fois, lors la reconnaissance pluvieuse du Tour des Flandres, ses cheveux ne sortaient pas de son casque. Remarquez la majuscule car les Tufts de Tadej, souvent au pluriel, sont devenus un concept. Un fan leur a même dédié un compte Twitter.
La défaite ne fait qu’augmenter ma rage de vaincre. » Tadej Pogacar
Sur son vélo, Pogacar fait souvent penser à Samson, qui tirait sa force de sa chevelure: plus ses mèches sortent des trous de son casque MET, mieux il roule. Ces Tufts ne sont pourtant pas nouvelles. Chez les juniors, déjà, elles se montraient aussi offensives que lui. Aujourd’hui, il les considère comme des porte-bonheur. « Je les aime bien », déclarait-il récemment à CyclingTips.com: « L’apparence fait partie du plaisir que procure le cyclisme. Je suis content d’avoir my little touch. »
Ces Tadej Tufts symbolisent l’image que les observateurs se font de lui: celle d’un gamin qui joue dans la cour des grands. Pour lui, même le Tour est « un jeu auquel il aime jouer », comme il le disait après sa deuxième victoire en 2021, lorsqu’il avait fait joujou avec la concurrence. Même lors des deux dernières arrivées au sommet, au Col de Portet et à Luz-Ardiden, alors qu’il comptait cinq minutes d’avance au classement général, il n’avait rien laissé à JonasVingegaard et RichardCarapaz. Du cannibalisme à la Baby Face. Son look le rend bien plus sympathique qu’un Lance Armstrong, qui n’a jamais vu le Tour comme un jeu.
Tadej est aujourd’hui plus adulte que quand je l’ai rencontré. Mais il y a encore des moments où c’est un enfant. » Urska Zigart, sa compagne
À 23 ans, Pogacar doit encore devenir un homme. « Tadej est aujourd’hui plus adulte que quand je l’ai rencontré (en 2017, voir par ailleurs, ndlr)« , expliquait son amie UrskaZigart dans Het Nieuwsblad, fin mai. « Mais il y a encore des moments où c’est un enfant. Je ne trouve pas ça mal du tout, au contraire: c’est chouette. » Ce n’est donc pas un hasard si Pogacar a nommé son compte Twitter @TamauPogi. Ce sont les deux surnoms qu’on lui avait donné lorsqu’il était encore gamin. En slovène, Tamau signifie « petit garçon. »
Mais cette frivolité ne l’empêche pas de vouloir tout gagner, même au ski ou aux cartes. Il adore se lancer de nouveaux défis, comme au Tour des Flandres où, c’est assez rare, on l’a vue de mauvaise humeur. Après un sprint chaotique avec Dylan van Baarle et Valentin Madouas, il s’est fâché sur le Néerlandais. Mais le lendemain, sur Instagram, il présentait ses excuses à Van Baarle: « Désolé, j’étais frustré. Tu mérites ta place sur le podium. »
Quelques jours plus tard, il annonçait vouloir revenir au Tour des Flandres parce qu’il s’était « bien amusé ». Tout comme aux Strade Bianche, à Liège-Bastogne-Liège et au Tour de Lombardie, des épreuves qu’il avait remportées. Après cette dernière victoire, Pogacar avait même dit que les courses d’un jour lui plaisaient davantage que les grands tours. Parce qu’elles lui permettaient de rouler davantage à l’instinct, sans penser au lendemain. Il affirme que sa victoire au sprint dans La Doyenne lui a procuré plus d’adrénaline que sa domination au Tour.
Pourtant, sur les routes de France aussi, il attaque. Comme lors de l’étape de montagne menant au Grand Bornand, en 2021, où il avait lâché ses concurrents dès le Col de Romme, à trente kilomètres de l’arrivée. Cette année, lors de la troisième étape de Tirreno-Adriatico, après avoir remporté un sprint intermédiaire devant Marc Soler et Julian Alaphilippe, il a continué à appuyer sur les pédales. « On avait fait le trou alors je me suis dit: pourquoi pas? »
L’an dernière, aux Trois vallées varésines, il s’est placé en tête du peloton à 120 km de l’arrivée et, lorsque Tim Wellens lui a dit « On y va? », il a répondu » OK, let’s go! » Ils ont repris le groupe de fuyards mais le Slovène a crevé, sans quoi le coureur de l’équipe UAE affirme qu’il était certain de l’emporter.
Ses directeurs sportifs insistent cependant: il est très rare que Pogacar attaque n’importe où, il sait choisir son moment. Même si on est dans une descente à cinquante bornes de l’arrivée, comme aux Strade Bianche. Pogi sait gérer ses efforts, mais son état d’esprit est toujours le même. « Je ne pense jamais être invincible », disait-il après sa victoire d’étape à Tirreno-Adriatico, où il avait laissé tout le monde sur place dans le Monte Carpegna. « Même quand je pars seul, je me dis toujours que les autres peuvent revenir. C’est pourquoi je réfléchis toujours. »
Comme deux jours plus tôt lorsque, sur la route de Bellante, il a laissé Remco Evenepoel s’épuiser tandis qu’il s’épargnait pour le sprint en côte. En 2019, alors qu’il était néo-pro, il avait fait la même chose au Tour de Californie. Lors d’une étape vallonnée, il avait observé l’attitude des autres favoris et, dans l’étape décisive vers Mount Baldy, il savait qu’il devait suivre Sergio Higuita. Résultat: 1. Pogacar, 2. Higuita.
Le leader INTROVERTI
14 février 2017, jour de la Saint- Valentin. En stage avec la Fédération slovène, les garçons et les filles s’entraînent ensemble, ils font des petits sprints de trente secondes. On forme des paires jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un garçon: Tadej Pogacar. On l’associe à la dernière fille: Urska Zigart, qui a directement le coup de foudre. Mais il n’a que 18 ans, deux ans de moins qu’elle. Il faudra donc encore attendre un an et demi avant qu’ils ne forment un couple.
Leurs caractères sont pourtant à l’opposé l’un de l’autre: elle est extravertie et dit ce qu’elle pense. Lui est plus réservé, plus timide, surtout avec les gens qu’il ne connaît pas. Ça se vérifie en 2019 lorsque, après ses premières victoires, il considère les interviews comme des épreuves. « Le mieux, ce serait de pouvoir courir et ne jamais en parler », dit-il au terme de sa première saison, lors de la journée presse organisée par UAE Team Emirates.
Il est bien plus ouvert et plus drôle avec ses amis et sa fiancée. C’est d’ailleurs comme ça qu’il a conquis le coeur de ses beaux-parents. À vélo non plus, il n’est pas timide: chez les jeunes, déjà, il fonçait. Urska, devenue professionnelle également, doute beaucoup plus d’elle en selle. Son compagnon tente de lui insuffler de la confiance tandis qu’elle lui a appris à parler aux journalistes, à montrer quel genre de personne il est vraiment.
Mais Pogacar reste lui-même: il ne fait pas le malin, il n’a pas de caprice de star. Il est modeste et humble, des valeurs que ses parents lui ont transmises. Son ex-directeur sportif Allan Peiper en témoigne: « Malgré les victoires, Tadej est resté le même: un garçon poli et reconnaissant. »
L’anecdote racontée l’an dernier par Philippe Gilbert dans L’Équipe en dit long: « Tadej est très respectueux. Un jour, lui et sa copine attendaient patiemment leur tour parmi les clients « normaux » dans mon magasin de vélo ( à Monaco, ndlr). J’ai trouvé ça rassurant. »
Eddy Merckx a rencontré le Slovène l’an dernier à l’invitation d’un sponsor, avant le Tour de Lombardie. Lui aussi s’est dit impressionné par la timidité de Pogacar, qui affirme avoir été particulièrement nerveux ce jour-là et avoir été déstabilisé lorsque le Cannibale l’a surnommé le nouveau… Merckx. Car il ne se considère pas comme une star ou un champion: « Je suis juste un coureur ».
C’est aussi comme ça qu’il dirige son équipe: sans parler fort et sans prendre de grands airs. Il se montre reconnaissant et amusant, toujours positif, toujours détendu. Ça rassure ses équipiers et les met en confiance.
Au sein du peloton non plus, personne ne dit du mal de Pogi, tout le monde l’aime et apprécie sa modestie. L’an dernier, au Tour, il a rappelé Michal Kwiatkowski et Toms Skujins à l’ordre parce que ceux-ci voulaient profiter d’une chute pour s’échapper. C’est contre les principes de Pogacar, qui déteste l’injustice.
On a pu s’en apercevoir lorsque des journalistes ont insinué qu’il était dopé, que le passé de son équipe et sa suprématie ne plaidaient pas en sa faveur. Le Slovène a répliqué (on espère qu’il était sincère): « Je suis un fils de bonne famille, mes parents ont fait en sorte que je sois un bon garçon. » Une réponse qui en dit long sur ses valeurs et sur le fait qu’il ne se considère pas encore comme un homme.
Attaché à sa famille
Sa famille… Tadej Pogacar en parle souvent dans ses interviews. Pour lui, c’est d’ailleurs le gros point négatif d’une vie de coureur professionnel: comme il est souvent sur la route et qu’il s’est installé à Monaco en 2019, il voit peu ses proches. Mais il les remercie régulièrement: « Ce sont eux qui ont fait de moi l’homme que je suis. »
Après la Flèche Wallonne, il n’a donc pas hésité à prendre l’avion pour la Slovénie avec sa compagne lorsqu’il a appris que sa belle-mère, qui se battait depuis des mois contre un cancer, était à l’agonie. Urska et lui sont arrivés trop tard, mais il est resté quelques jours de plus pour soutenir sa belle-famille. Fallait-il laisser tomber Liège-Bastogne-Liège? Ça ne faisait aucun doute, il n’y a même pas réfléchi.
Sa compagne, avec laquelle il est fiancé depuis septembre 2021, est la personne la plus importante de sa vie. C’est pour elle qu’en 2019, il tenait absolument à remporter une étape de sa toute première Vuelta: il en a gagné trois. Aujourd’hui encore, après chaque succès, c’est vers elle qu’il se dirige en premier. Lors des longues courses, lorsqu’il souffre, il affirme se motiver en pensant à elle.
Il est encore plus heureux lorsqu’il peut la soutenir lors de ses courses. Comme en 2019, lorsqu’il a suivi le Giro pendant toute une semaine avec une banderole » Go Urska!« . Ou comme au début de l’année dernière, lorsqu’elle a remporté sa toute première victoire professionnelle à la Setmana Ciclista Valenciana, une course que Pogacar avait suivie sur Twitter et en streaming au cours d’un enregistrement pour un sponsor. Il était bien plus nerveux qu’il ne l’avait jamais été sur un vélo et, après la course, il était plus heureux que lorsqu’il avait remporté le Tour. Au point de lui envoyer pas moins de huit messages de félicitations. Selon elle, il aurait même pleuré de joie.
C’est aussi grâce à sa fiancée que le Slovène peut prendre ses distances avec la vie agitée d’un coureur cycliste. Ils aiment aller au restaurant, se promener ou se rendre en voiture en montagne et apprécier la vue sur Monaco. Dans ces moments-là, ils parlent rarement de vélo.
Comme les obligations sont de plus en plus nombreuses, Tadej et Urska savourent encore davantage ces moments. Le double vainqueur du Tour apprécie également à leur juste valeur ses courts séjours en Slovénie. C’est l’une des raisons pour lesquelles, avant le Tour, il préfère prendre part au tour de son pays qu’au Critérium du Dauphiné. « Gagner en présence de ma famille et de mes amis, c’est très spécial, c’est même essentiel pour la suite de ma carrière », déclarait-il l’an dernier à La Dernière Heure.
Ces attaches à son pays et sa reconnaissance envers les gens qui l’ont aidé se retrouvent aussi dans le « Pogi Team », qu’il soutient financièrement depuis 2020. C’est une équipe de jeunes qui accueillent plus de 150 coureurs de treize à 19 ans sous la bannière de son ancien club, le KD Rog Cycling Club. Grâce à lui, elle est sponsorisée par UAE et tous les fournisseurs de son équipe du WorldTour. Pogacar est régulièrement en contact avec Miha Koncilija, son ancien entraîneur chez KD Rog. C’est Koncilija qui, aux Strade Bianche, juste avant la Via Santa Caterina à Sienne, lui a fait un high five à vélo. « Un moment extraordinaire », avait-il dit par la suite.
Pogacar affirme que sa victoire au sprint à Liège-Bastogne-Liège lui a procuré plus d’adrénaline que sa domination au Tour.
Depuis 2015 et ses premières participations aux championnats d’Europe et aux championnats du monde juniors, le Slovène est également très fier de porter le maillot de son équipe nationale. Il se met alors avec plaisir au service de ses compatriotes, comme Primoz Roglic au Mondial 2020 à Imola (peu après le retournement de situation au Tour) ou comme Matej Mohoric en 2021 à Louvain. Il rêve cependant de s’imposer également un jour sous le maillot vert-blanc-bleu.
Toujours cool, même dans les pires moments
Le caractère d’un coureur éclate rapidement au grand jour. Dès ses premiers mois chez les pros, Tadej Pogacar impressionne son directeur sportif, Allan Peiper, par son calme. Même lorsque la situation est tendue, il ne panique jamais. Même pas lorsqu’il constate avoir perdu son passeport après la Cadel Evans Great Ocean Road Race, ce qui l’oblige à retarder son vol. Même pas lorsqu’il prend le maillot de leader au Tour d’Algarve en remportant l’étape menant à l’Alto da Fóia: lors de la dernière journée, sur la route de Malhão, il est lâché mais il garde son rythme et revient tranquillement pour s’assurer la victoire finale.
Un an et demi plus tard, en septembre 2020, Peiper ouvre de plus grands yeux encore lorsque Pogacar garde son sang-froid pour décrocher son premier maillot jaune malgré une chute dans les bordures de l’étape vers Lavaur qui lui fait perdre 1’21 ». En faisant du rouleau dans le bus de l’équipe, il prévient son directeur sportif: « Demain est un autre jour, je vais attaquer. » Il suit les conseils de Peiper qui lui dit que ses adversaires profiteront de la moindre chance pour l’éliminer et qu’il doit saisir la moindre chance d’en faire autant. Aussitôt dit, aussitôt fait: le lendemain, au terme d’une ascension supersonique de Peyresourde, Pogacar reprend quarante secondes.
Même au cours de la troisième semaine, lorsqu’il perd quinze secondes sur Primoz Roglic dans le Col de la Loze et que le maillot jaune semble hors de portée, le Slovène reste positif. À la veille du contre-la-montre décisif menant à La Planche des Belles Filles, Pogacar danse même dans le bus. Lors de l’échauffement, il appelle sa famille en vidéo devant la direction sportive médusée. Pire: sa réaction lorsqu’il voit les mécaniciens monter un vélo blanc pour le vainqueur du maillot blanc sur les Champs Elysées. « Ils ne pensent pas que je peux le faire? », demande-t-il à Allan Peiper. Il est le seul à croire encore en la victoire finale.
En octobre dernier, il évoquait cette stabilité émotionnelle dans Cyclingnews.com: « Je ne suis pas parfait et il m’arrive de me fâcher quand ça ne va pas. J’essaye juste de ne pas le montrer. En course, il est très important de ne pas faire de folies, de rester concentré. Perdre du temps, crever ou chuter, ça n’a rien d’amusant, mais il ne sert à rien de s’énerver. Le mieux, c’est de trouver la solution immédiatement et de continuer à rouler. »
Deux ans plus tôt, alors qu’il était encore néo-pro, il avait expliqué à Rouleur qu’il envisageait toujours la défaite de façon positive et analytique. « Que puis-je faire pour l’emporter la prochaine fois? La défaite ne fait qu’augmenter ma rage de vaincre. Ma plus grande crainte, c’est de plafonner, de ne plus progresser. »
À l’époque, sur le compte Instagram de Tamau, on pouvait lire: « Je suis un coureur. Pas encore le meilleur mais je veux y arriver. Ce ne sera peut-être pas le cas mais je n’arrêterai jamais d’y croire. » Trois ans plus tard, cette phrase a disparu. Il est désormais le meilleur, mais il veut encore faire mieux et conserver cet équilibre émotionnel. Pogi, c’est le gentil Cannibale.
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